Bien que le concert de De Staat soit annoncé dans un endroit nommé "Cathedral", je me doutais bien qu'il y avait peu de chances qu'il s'agisse d'un édifice religieux. Je me rappelais d'un soi-disant "Opera" il y a deux ans. On n'espérait sans doute pas le Palais Garnier mais il y avait un gouffre entre ce pompeux intitulé et la réalité des lieux: une tente bondée, humide, et traversée de courants d'air qui m'avait laissé un très mauvais souvenir. Prévisiblement, la "Cathedrale" en question était en fait un chapiteau, mais - bonne nouvelle - celui-ci était vaste, bien agencé, et pourvu d'une scène à chaque extrémité afin que les concerts s'enchaînent sans temps mort. A ce moment, l'une d'entre elle était d'ailleurs occupée par les néerlandais A Silent Express, et c'est là que j'ai regretté d'être arrivé en avance à la vue - et l'écoute ! - de ces caricatures de rebelles échappés d'une pub de gel capillaire. A oublier très vite. Le contraste avec De Staat n'en a été que plus fort. Encore inconnu en France, ce quintet de Nijmegen est l'un des groupes hollandais les plus en vue du moment après deux albums défricheurs et une réputation scénique jamais démentie. Certains les ont comparés au dEUS des débuts et le rapprochement est plutôt bien vu. Si leur musique est différente, ils ont la même énergie imprévisible, la même liberté formelle, la même capacité d'invention. Et un truc que je n'avais encore jamais entendu dans le domaine du rock: tout chez eux est basé sur le rythme. Amateurs de mélodies, passez votre chemin, De Staat n'est pas pour vous. Mais si l'idée d'entrer en transe chamanique dans un pilonnage de percussions tribales vous paraît intéressante, vous êtes au bon endroit.
Le second album du groupe, "Machinery", est une réussite exemplaire. Hormis le single "I'll never marry you", seule concession à une écriture plus classique, tout le disque repose sur cette implacable puissance rythmique, renforcée par le cisaillement métallique des guitares et les dérapages du synthé. Sur cette trame, le chanteur Torre Florim hoquète, éructe, et harangue avec la conviction féroce d'un pasteur baptiste pris de crise mystique. En concert, c'est encore plus impressionnant. Ces garçons sont véritablement habités, mais c'est Florim qui aimante tous les regards, enragé, possédé, ruisselant, à deux doigts du pétage de plombs. Au fil des morceaux son visage vire au rouge cramoisi à tel point qu'on s'attend à tout instant à le voir exploser, comme celui du culturiste dans la vidéo de leur morceau "Sweatshop".
Et puis il y a la machine. La fameuse "Machinery" qui donne son titre au dernier album. Depuis le début du concert elle trône derrière le groupe, imposant assemblage de gamelles et de bidons, d'engrenages, de chaines, de contrepoids, et de crémaillères. Une beatbox médiévale à mi-chemin entre un rêve de savant fou et un instrument de torture, qui donne le rythme en actionnant des marteaux pour frapper le métal. Son utilité reste à prouver d'un strict point de vue musical et le groupe ne l'utilise d'ailleurs qu'en une seule occasion... il n'empèche: on ressent un véritable frisson lorsque le batteur quitte ses fûts pour venir actionner les manettes qui déclenchent les rouages de cette incroyable engin. Un moment visuellement très fort et qui reste gravé dans les esprits. Après avoir sorti un des meilleurs albums de 2011, De Staat venait - quelques jours seulement après le début de l'année - de délivrer déjà l'un des meilleurs concerts de 2012.
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