Il fut un temps pas si lointain où, pendant Eurosonic, je passais mes après-midi aux showcases organisés par Plato, le magasin de disque du coin (il serait plus juste de dire L'UN des magasins de disques: ils sont cinq en centre-ville à Groningen !). L'affluence record cette année a eu raison de cette tradition pourtant bien agréable. Impossible d'entrer dans la boutique une fois les concerts commencés. il y avait même la queue à l'extérieur canalisée par des barrières et un costaud du service d'ordre. C'est comme ça que j'ai raté Fenster, groupe basé à Berlin, composé de deux new-yorkais et d'un français. Ca semblait très bien. Il faudra le vérifier sur leur album ("Bones"), d'ores et déjà disponible.
Le soir, direction la Machinefabriek, à la limite du centre-ville. Au programme, les estoniens d'Ewert & The Two Dragons. Le groupe a souvent joué en France suite à la parution chez Talitres de leur excellent second album "Good Man Down", mais je n'avais encore jamais eu l'occasion de les voir sur scène. Ewert & The Two Dragons ont fait du chemin depuis le concert qu'ils avaient donné à Eurosonic l'année dernière dans le cadre intimiste de De Spieghel. Cette année, ils remplissent sans problème cette salle de belle dimension qui, inexplicablement, n'avais pas été encore utilisée par le festival. Dans une formule élargie avec une section de cuivres, le groupe délivre son impeccable répertoire au millimètre près, dans une restitution minutieuse mais jamais appliquée de l'album. Il manque néanmoins à ce show trop bien calibré et un peu statique (le chanteur est assis au piano, ce qui n'aide pas) ce petit supplément d'émotion qu'on attend en allant voir un groupe sur scène. Avec le concert d'Ewert & The Two Dragons à Eurosonic, je n'ai rien appris sur eux que je ne connaissais déjà à l'écoute de leur album. Dommage.
(Ewert & The Two Dragons @ Machinafabriek, 10/01/2013. photo: rockomondo)
Un petit sprint vers le News Café à Grote Markt si je ne veux pas me retrouver à la porte pour le concert d'Evripidis & his Tragedies. Evripidis Sabatis est un grec émigré à Barcelone où il a fondé les Tragedies avec des musiciens du cru. Je n'avais jamais entendu parler de lui avant de consulter le programme d'Eurosonic, mais l'écoute de son premier album sorti en 2007 (on peut le télécharger gratuitement sur sa page Bandcamp) m'a décidé qu'il ne fallait en aucun cas manquer ça. Car enfin, voilà un garçon qui réussit une synthèse parfaite de toute de la musique populaire du 20e siècle, en commençant même avec les classiques du siècle précédent (Fauré, Ravel...) via la musique américaine des années 20 et 30, les musicals, le cabaret, et toute la pop des années 50 à nos jours, incluses les musiques de film qui semblent l'inspirer tout particulièrement. J'étais donc très impatient de vérifier si ce grec hyper-doué allait être LA révélation du festival. Arrivé dans la cave du News Café, surprise: non seulement je n'ai pas fait la queue pour entrer, mais la salle est presque vide ! Et déception, les Tragédies sont restées à Barcelone: Evripidis est seul sur scène avec son piano. La déception sera de courte durée. Dés qu'il attaque le premier morceau, assis raide comme un i devant son Roland et l'oeil vif voletant d'un spectateur à l'autre, Evripidis démontre qu'il n'a nul besoin d'un groupe pour défendre sa musique. Ses chansons se suffisent à elle-mêmes. Des chansons aux accents nostalgiques, tendrement ironiques, aux mélodies à la fois évidentes et complexes, et dont vous savez, dés la première écoute, qu'elles ne quitteront plus vos vies. Même si je ne devais plus voir un seul bon concert durant tout le reste du festival, la découverte d'Evripidis à elle seule avait amorti le prix (élevé) du billet.
(Evripidis & his Tragedies @ News Café, 10/01/2013. photo: rockomondo)
Tiens, après ça si on cédait aux sirènes du buzz en allant vérifier ce que vaut réellement Jake Bugg ? L'anglais dont tout le monde parle se produisait à la Cathédrale - en fait un gigantesque chapiteau inauguré l'année précédente -et prévisiblement, c'était bondé. C'est donc de loin (mais avec un son parfait, comme à tous les concerts d'Eurosonic) que j'ai pu assister à une partie du concert du rocker aux joues roses. J'avoue ne pas bien comprendre le battage médiatique insensé qu'il suscite ni le ralliement derrière lui de toutes mes connaissances rock n'rolliennes. Après une première partie acoustique assez ennuyeuse, les choses s'animent enfin lorsque Bugg empoigne sa guitare électrique, mais les chansons restent très en deçà de leurs ambitions, et surtout Jake Bugg est affligé d'une voix ingrate et sans nuance difficile à supporter plus de quelques morceaux. Je me pince en me souvenant d'un récent article qui l'avait comparé à Donovan. On en est décidément très loin.
Et sauvons-nous avant la fin car il n'est pas question d'arriver en retard pour le concert des belges Balthazar. Dans sa recherche permanente de nouvelles salles, le festival investit pour la première fois cette année un lieu exceptionnel: le musée de Groningen, remarquable aussi bien par son architecture (trois modules de formes et de couleurs différentes reliés entre eux par des passerelles et des couloirs subaquatiques) que par ses collections. J'avais pensé que les concerts auraient lieu dans le hall, ce qui était la manière la plus simple de gérer l'évènement, mais si certains se tiennent bien près de l'entrée, celui de Balthazar a lieu dans un auditorium situé au troisième étage, tout au fond du bâtiment. Pour y accéder, on traverse donc toute l'exposition temporaire du musée consacrée actuellement à la peinture scandinave de la fin du 19e siècle/ début du 20e. Dommage que si peu de festivaliers prennent la peine de ralentir le pas pour en profiter. Devant un auditoire fourni, Balthazar a donné ce soir-là un concert intense. J'étais curieux de savoir comment le groupe allait traiter en live l'atmosphère plutôt dépouillée de son second album "Rats". En fait, les morceaux ont été retravaillés et les arrangements enrichis pour obtenir un son péchu, plein et puissant. Le violon, notamment, qui se contente sur disque d'un rôle épisodique tient sur scène une place bien plus importante. Et l'on ne s'ennuie jamais grâce à l'alternance des deux chanteurs aux voix et aux personnalités bien différentes. A ne pas manquer lors de leur prochaine tournée française..
(Balthazar @ Groninger Museum, 10/01/2013. photo: rockomondo)
Grosse file d'attente devant le Stadsschouwburg, l'ancien théatre municipal, pour les danois Efterklang auxquels on doit l'année dernière "Piramida", bel album inspiré par une ville minière abandonnée du côté du cercle arctique. La dernière fois que j'avais vu le groupe en 2008 au festival Spot, ils étaient huit, habillés comme s'ils sortaient du "1900" de Bertolucci, et ils avaient donné un concert épique et grandiose, l'un des meilleurs auxquels il m'ait jamais été donné d'assister. Ce soir, ils sont six seulement. Pas de dress-code, seul le chanteur arbore un costard saumon et un noeud papillon. Toute la soirée, il jouera le rôle de meneur de revue un peu cabot, dialoguant fréquemment avec des spectateurs sans jamais se départir d'un inamovible sourire Colgate. Comme Balthazar précédemment, le groupe a boosté pour la scène le répertoire plutôt éthéré de son dernier album en y ajoutant du rythme et de l'électronique. Le résultat est très convaincant, les chansons y gagnent une belle ossature sans pour autant s'en trouver dénaturées. Tout ceci serait parfait si Efterklang ne cédait pas une nouvelle fois à son péché mignon: faire intervenir sur sa musique des éléments extérieurs qui en brouillent la limpidité plus qu'ils ne l'enrichissent. Cette fois-ci, il s'agit d'une apprentie-Castafiore très motivée qui vocalise à pleins poumons pendant tout le concert. Au bout de quelques morceaux, on a envie de l'étrangler. A la fin du set, seule la foule compacte qui vous sépare de la scène vous empèche de le faire réellement. Sa seule présence (très) sonore aura suffit à ruiner un spectacle qui aurait pu compter parmi les meilleurs du festival.
(Efterklang @ Stadsschouwburg, 10/01/2013. photo: rockomondo)