Le samedi, ce n'est plus Eurosonic, c'est Noorderslag. Tout le festival se transporte sur un seul site, l'Oosterpoort, pour une soirée réservée uniquement aux groupes néerlandais. Avec ses dix scènes pour une soixantaine de concerts, l'Oosterpoort est un complexe multi-salles où tout Groningen semble s'être donné rendez-vous ce soir-là dans une ambiance bien plus populaire et débridée qu'à Eurosonic. Bien qu'il y ait à l'intérieur du bâtiment plus de monde qu'il ne peut en contenir, que cette foule se déplace en tout sens pour aller d'un concert à l'autre dans un chaos indescriptible, que des kilolitres de bière soient ingurgités et fassent vite leur effet, tout se passe étonnamment bien. En neuf éditions du festival, je n'ai jamais assisté à une seule bagarre, ni même à la moindre altercation à Noorderslag. Les néerlandais sont décidément des gens affables et pacifiques.
Je commence la soirée avec une prestation très attendue, celle de Eins zwei Orchestra, groupe à tendance shoegaze dont j'avais malencontreusement loupé le concert l'année précédente. Cette année, c'est à une toute autre aventure que nous convient les deux maîtres de cérémonie Lydia et Stefan van Maurik, elle venue de l'indie-pop (This Beautiful Mess, Brown Feather Sparrow), lui du hardcore (The Spirit That Guides Us). Le couple s'est lançé dans un projet ambitieux de spectacle et d'album inspirés par Bollywood sous l'intitulé "Eins Zwei & The Parallel Cinéma". Tout commence dans une semi-pénombre, avec un joueur de sitar accroupi sur la droite de la scène et l'arrivée de trois danseuses indiennes qui se livrent à une belle démonstration de danses traditionnelles. A peine ont-elles quittées le plateau qu'arrive le groupe, soit une formation électrique de six musiciens, une section de cordes (deux violons, un violoncelle), et pas moins de onze choristes au fond de la scène. Eins Zwei & The Parallel Cinema a fait les choses en grand et les a fait bien. On ne peut qu'être emporté par l'énergie de toute cette tribu joyeuse et colorée. Si l'objectif était de recréer dans un format pop le côté festif des films bollywoodiens, c'est gagné. Les chansons rythmées et entraînantes sont un appel à la participation du public et sur scène c'est une explosion de couleurs, de brocards, de soies moirées et virevoltantes: un véritable spectacle bien plus qu'un simple concert. Il se termine avec la réapparition des trois danseuses dans de nouveaux costumes et une nouvelle chorégraphie. Gros succès et sourire de tous les spectateurs à la fin du show. L'album arrive bientôt, mais c'est un DVD qu'on aurait du prévoir pour un tel spectacle !
(Eins Zwei & The Parallel Cinema @ Binnen Zaal, De Oosterpoort 12/01/2013. photo: rockomondo)
En sortant, je retrouve sur la scène du grand hall Sunday Sun dont j'avais assisté au showcase l'après-midi même à Coffee Company (un genre de Starbucks local). Sunday Sun est un quatuor d'Amsterdam adepte - comme son nom l'indique - d'une pop ensoleillée et hyper-mélodique inspirée principalement par les Beatles (Macca plus que Lennon), les Beach Boys, et leurs nombreuses déclinaisons, de Crowded House aux Shins. La barre est haute, mais les compositions de Sunday Sun sont de premier ordre, et jamais le groupe n'a à pâlir des inévitables comparaisons qu'il suscite. La trilogie d'Eps que le groupe a sorti l'année dernière - aujourd'hui réunie en coffret - ne montre aucune faiblesse pour qui ne rechigne pas à consommer sa pop avec beaucoup de sucre. Leur restitution scénique - sans surprise mais impeccable - méritait un bien plus bel écrin que cette scène ingrate du hall de l'Ooosterpoort.
(Sunday Sun @ Entree Hall, De Oosterpoort, 12/01/2013. photo: Sander Baks)
Il est un peu tard pour aller voir la prometteuse Tessa Rose Jackson dont le concert a déjà commencé dans une petite salle du sous-sol, aussi je tente un groupe inconnu: Mister And Mississippi au Patio. Je ne sais pas pourquoi - le nom du groupe peut-être, ou le décor de grange du Patio - je m'attendais à de l'americana, mais ce n'est pas tout à fait dans ce registre que joue Mister and Mississippi. Composé d'une fille et trois garçons, le groupe affectionne les tempos lents et médiums, les atmosphères pointillistes, les ballades mélancoliques, genre dans lequel les hollandais excellent. Mais il ne s'en tient pas là et n'hésite pas non plus à accélérer le rythme en plusieurs occasions ou à faire décoller ses morceaux dans d'ébouriffants crescendos. Le son est clair est précis, les vocaux variés avec pas moins de trois chanteurs (j'ai une grosse préférence pour le vibrato velouté de la fille du groupe), et l'interprétation parfaite avec notamment un très brillant guitariste capable tout aussi bien de tricoter de fines dentelles façon Durutti Column que de transformer son instrument en corne de brume à la manière de Sigur Ros. On aimerait juste voir ce groupe très sage et toujours sous contrôle lâcher parfois un peu prise. Encore une fois, c'est le guitariste qui apportera ce nécessaire supplément d"émotion dans un final fiévreux et convulsif. Beau concert. L'album sort le 28 janvier chez V2 Bénélux.
(Me And Mississippi @ Patio, De Oosterpoort, 12/01/2013. photo: rockomondo)
Pas question d'arriver en retard pour Jacco Gardner que je ne veux manquer sous aucun prétexte. Avec seulement deux single parus jusqu'à présent, le jeune - 24 ans - hollandais génère déjà un buzz impressionnant et son album ("Cabinet of curiosities") fait figure d'évènement avant même sa sortie le 12 février. Quatre morceaux ont suffi à Jacco Gardner pour définir précisément son aire de jeu: la pop psychédélique du milieu des années soixante avec Syd Barrett dans le rôle du Saint-Esprit, et The Left Banke et les Zombies pour compléter la Trinité. Aucun folklore Carnaby Street cependant lorsque les musiciens entrent en scène habillés comme vos voisins de palier. Jacco Gardner lui-même semble étonnamment vulnérable et timide, souriant mais peu loquace, le visage continuellement dissimulé derrière une barrière de cheveux. La mise en place, un peu approximative au début, s'arrange par la suite et en 45 minutes (et 12 morceaux) le groupe joue ce qui sera sans doute l'intégralité de son futur album. Le son mériterait d'être étoffé, la touche "clavecin" du synthé moins souvent enfoncée et quelques morceaux se ressemblent un peu trop. Mais on relève aussi deux ou trois chansons qui se détachent avec panache et qu'on sera curieux de redécouvrir sur l'album. Au final un bon concert, ni génial, ni déshonorant, celui d'un groupe encore à ses débuts et assurément talentueux, auquel il faut juste laisser le temps de grandir un peu.
(Jacco Gardner @ Marathon Zaal, De Oosterpoort, 12/01/2013. photo: rockomondo)
Il se fait tard et il faut reprendre la route le lendemain. Allez un dernier petit concert pour revoir The Kik. L'année dernière, ils avaient joué sur la scène du foyer. Ce soir ils ont droit à celle bien plus prestigieuse de la Kleine Zaal, avec ses nouveaux écairages led impressionnants qui débordent de la scène pour traverser la salle. Augmenté d'un nouveau guitariste, le groupe semble avoir déjà abandonné en partie le répertoire exclusivement merseybeat de son dernier album pour une musique plus contemporaine (sachant qu'avec The Kik, la musique s'arrète en 1967). Preuve de cette nouvelle "modernité", il y aura même un solo en fuzz. Retour au garage-rock pour The Kik ? La réponse au prochain disque.
Je quitte l'Oosterpoort à minuit. Passer d'un seul coup de la folie de Noorderslag au silence de la nuit de Groningen est une expérience très curieuse. Même si trop fréquentée et légèrement inférieure à celle de 2012, cette édition a été encore une fois riche de belles découvertes. J'ai beau jurer chaque année que c'est la dernière, j'y serai quand même sans doute l'année prochaine.